Parmi les idées largement acceptées, se trouve le principe que les produits de qualité se vendent plus cher, voire beaucoup plus cher que les produits ordinaires. Pourtant, à y regarder de plus près, les cafés dits de spécialité semblent échapper à cette règle. Les établissements spécialisés ne les vendent pas plus cher qu’une brasserie ordinaire ne vend son café standard ; les présentoirs de grande distribution proposent une gamme beaucoup plus fondée sur des critères écologiques ou humanitaires que sur des critères réellement gastronomiques. Le secteur des cafés d’une qualité réellement exceptionnelle nécessite pourtant que les consommateurs acceptent de les payer au juste prix : un prix qui rémunère l’effort du distributeur autant que celui des producteurs impliqués dans la chaîne de valeur.
Notre réflexion est basée sur des exemples français et même plus spécifiquement parisiens. Nous pourrons montrer ultérieurement que cette analyse s’applique globalement assez bien à l’ensemble des marchés.
Tous les produits, à commencer par les produits alimentaires, proposent à l’acheteur une gamme de prix correspondant à l’échelle de qualité reconnue par le consommateur. Cette gamme de prix, le “spread de prix” représente à quel point le consommateur reconnaît et apprécie la qualité du produit.
Prenons l’exemple du vin. En grande distribution, le vin le moins cher se situe à moins de 2 € le litre. La gamme moyenne s’étage de 25 à 45€ les 75cl. Quant aux vins haut de gamme, les prix commencent à 91-100€, affichant même des bouteilles à près de 150€. Soit un coefficient K exprimant le rapport de prix entre le vin le plus cher et le vin le moins cher présenté dans le linéaire, alors K vaut plus de 74 ! Et si l’on sort dans des boutiques spécialisées, des cavistes, on trouvera sans peine des bouteilles à 500€, voire à plus de 1000€. Ce qui représente un coefficient K de plus de 500 !
Le cas du jambon cru est intéressant. Les Espagnols ont su le valoriser. Le coefficient K entre le jambon le plus cher et le moins cher vendu en grande distribution atteint 38.
Appliqué au café, le même raisonnement fait apparaître que le coefficient K entre le moins cher (1,25€/250g) et le plus cher (15€/250g) proposé par la grande distribution en paquet de 250g, est seulement de 12. Et encore, comme nous le disions plus haut, les prix les plus élevés sont globalement tenus par des cafés “bio” ou “équitables”, ce qui ne nous renseigne pas sur leurs qualités gustatives. En boutique, les prix atteignent 15-20€ et peuvent exceptionnellement culminer à plus de 40€, ce qui ne nous donne, in fine, qu’un coefficient K de 50, bien loin de ce que l’on trouvait dans le domaine du vin.
Le thé vrac n’est pas mieux loti que le café. En grande distribution, le coefficient K est seulement de 9 ! Et même les boutiques spécialisées semblent peiner à vendre des thés à plus de 300€ /kg. Ce qui explique sans doute pourquoi les plus beaux thés de Chine ne rentrent toujours pas en Europe.
Si nous observons la consommation hors domicile, le prix de la tasse de café dépend beaucoup plus de son environnement, sa porcelaine, le “standing” de l’établissement que de la qualité intrinsèque du café. Les cafés servis dans les restaurants étoilés en sont un très bon exemple. A défaut de savoir défendre la qualité du café servi devant le consommateur, l’établissement explique le prix pratiqué par une accumulation de mignardises qui n’apporte pas forcément grand-chose à la dégustation d’un café de grand cru. Du côté des “coffee shops” spécialisées dans des cafés de spécialité, même constat. La simplicité et la convivialité recherchée semblent empêcher de valoriser le café à plus de 2,50€ la tasse d ‘expresso. Mais peut-on vraiment valoriser la qualité du produit sans un minimum de cérémonial ? Au-delà de la machine, ne faudrait-il pas, par exemple, sophistiquer la porcelaine ?
L'instauration d’un véritable marché du café de spécialité requiert que les consommateurs acceptent de le payer à un prix suffisant. Premier signe que cela est désormais possible : on voit enfin de grandes enseignes parisiennes, Monoprix en l’espèce, afficher un café de spécialité à près de 15€ les 250g. Espérons que l’ensemble des professionnels concernés vont unir leur discours pour que les consommateurs apprennent à savourer et apprécier un café d’exception (ce qui n’est pas toujours le cas) et payent au juste prix son excellence.
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